Une équipe d’étudiants dirigée par Amr ElAlfy, chargé de cours à temps partiel à la School of Environment, Enterprise and Development de l’Université de Waterloo, a analysé les données d’une gamme d’entreprises canadiennes lors du Concours IFD-FM du meilleur rapport de développement durable 2020.
Prenant part au concours pour une 3e année consécutive, M. ElAlfy se dit très heureux de l’évolution de la grille critériée utilisée pour cette analyse des rapports de développement durable (RDD). « Le fait d’inclure la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD), et les éléments ESG et de risque, c’est nouveau, même pour ceux qui font partie du domaine de la divulgation depuis une décennie », indique-t-il. Il apprécie également qu’on encourage les étudiants à identifier en quoi une entreprise dépasse les attentes.
« Championnes du processus, Sara Ford et Daphne Pan ont bien su déterminer à quel point la théorie des indicateurs ESG est intégrée aux rapports et énoncer des recommandations pour aider les entreprises à améliorer leur reddition de comptes », souligne M. ElAlfy en présentant deux étudiantes participantes.
Forces et place à l’amélioration
« Nous avons été assez sévères, car en lumière de tout ce que nous a appris Amr, nous avions des normes très élevées pour déterminer ce qui représente un bon RDD », explique Sara.
« De nombreuses entreprises se font un devoir de mentionner des normes comme la Global Reporting Initiative (GRI) ou la TCFD, surtout à des fins de crédibilité, et pas toujours correctement », relève-t-elle.
De plus, les détails sur la fréquence de l’étude de matérialité, ainsi que sur les critères d’inclusion et d’exclusion des parties prenantes, sont rarement abordés dans les RDD. « Seulement quatre entreprises ont fait de la matérialité leur stratégie de responsabilité sociale d’entreprise (RSE), créant un rapport qui respecte les normes mondiales », précise M. ElAlfy. « Quelques-uns des RDD définissent clairement la matérialité, tout en offrant de façon constante des liens vers les chiffres à l’appui, et c’était le cas de Bell », souligne Daphne.
La transparence en ce qui a trait aux objectifs ESG laisse aussi à désirer. « J’avais l’impression que les entreprises tentaient parfois de dissimuler des renseignements et n’arrivaient pas à établir des liens forts entre les cibles et les faits présentés », raconte Daphne.
Par ailleurs, les étudiants ont trouvé intéressant que certaines entreprises discutent d’objectifs à long terme, et ils aimeraient voir davantage de RDD qui ne s’en tiennent pas uniquement aux objectifs à court terme.
Une carrière en divulgation sur le développement durable?
Daphne et Sara montrent toutes deux un intérêt pour les activités de divulgation du rendement en matière de durabilité. « Ce serait un travail gratifiant de pouvoir contribuer à des changements dans la bonne direction », dit Sara. « On voit à quel point les attitudes des gens à l’égard du développement durable ont évolué, et tout le monde en fait la promotion. Je crois que la transparence est essentielle pour que cela se produise, alors j’aimerais prendre part à ce mouvement en diffusant les renseignements les plus justes et authentiques », ajoute Daphne.
Hydro-Québec : gagnante, catégorie des Ressources renouvelables
L’entreprise, qui vient de publier son 18e RDD consécutif, mise sur une structure solide pour la préparation du document. « Ça roule aussi bien parce qu’on y met beaucoup d’efforts, bien entendu, mais aussi parce que le processus est bien rodé! », souligne Mathieu Ouellet, chargé d’équipe – Développement durable, pour Hydro-Québec.
Résultat d’un travail d’équipe impliquant plus d’une centaine de personnes pour la collecte et la validation d’informations, le RDD d’Hydro-Québec est destiné à un public spécialisé. Certains indicateurs qui y sont présentés sont ceux mis de l’avant par la GRI, notamment le ‘supplément sectoriel de l’électricité’. « Nous demandons également à la GRI de se pencher sur certains éléments précis, dans le cadre d’un service nommé Materiality Disclosure Service », indique M. Ouellet.
L’entreprise réalise une analyse de la pertinence de l’information qui repose d’ailleurs sur les normes GRI et AA1000. Ce processus d’une durée de trois ans permet d’orienter le contenu du rapport selon le contexte d’affaires, ainsi que la nature des projets et activités, en analysant leurs incidences sur les plans économique, environnemental et social.
Lors du dernier exercice, Hydro-Québec a identifié 34 enjeux de développement durable liés aux activités et à leurs impacts. L’entreprise a ensuite effectué une hiérarchisation des parties prenantes selon les critères de l’influence, de l’impact et du partenariat. Puis, un sondage a été mené pour évaluer l’importance des enjeux. La Matrice de la pertinence présente les résultats d’ateliers de discussion auxquels ont participé 23 organisations et 9 représentants d’Hydro-Québec.
Les parties prenantes sont également consultées pour évaluer si le RDD a répondu aux attentes, et déterminer les pistes d’amélioration.
Collecte de données
Des coordonnateurs des unités d’affaires concernées aident l’équipe de rédaction à trouver les informations requises. « Hydro-Québec est une grande entreprise, avec plus de 19 000 employés. Sans l’aide de ces coordonnateurs, c’est un peu comme chercher une aiguille dans une botte de foin », explique Guy Lefebvre, directeur – Conformité et développement durable. « Le choix de ces personnes est très stratégique. Leur travail l’est tout autant. »
À propos du climat
En vertu des recommandations de la TCFD, le RDD 2019 d’Hydro-Québec traite des effets des changements climatiques sur les activités, du cadre de gouvernance mis en place, des stratégies adoptées, de la gestion du risque, des indicateurs et des cibles.
« Nous avions déjà pris un engagement de taille afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans l’ensemble de nos activités », indique M. Lefebvre. « Nous allons maintenant plus loin et visons la carboneutralité dès l’horizon 2030 », ajoute-t-il.
Bell Canada : gagnante, catégorie Technologies et communications
Chez Bell Canada (Bell), la rédaction du RDD a commencé au début des années 1990. « Quand la GRI est devenue populaire, nous l’avons intégrée », se rappelle Marc Duchesne, vice-président, sûreté et responsabilité d’entreprise chez Bell. Bell a également adhéré en 2006 au Pacte mondial des Nations Unies et à ses 10 principes, ce qui influence grandement le contenu du RDD. Plus récemment, l’entreprise a intégré les normes du Sustainability Accounting Standards Board (SASB).
Le RDD de Bell inclut des hyperliens vers sa liste d’indices de rendement clés, ainsi que vers une cinquantaine d’autres documents. « La concision est tout un défi, il y a tellement de renseignements à communiquer », indique M. Duchesne. Les gens apprécient justement la longueur raisonnable du rapport de Bell.
L’équipe s’assure que le RDD demeure captivant, qu’il suive l’évolution des normes et de la terminologie propres au développement durable et reconnues par les investisseurs. « À la fin de la rédaction du rapport, nous avons un document, quelque chose de tangible qui démontre l’ampleur de tout le travail », explique-t-il.
Enjeux sociaux
Les initiatives de Bell comprennent son Conseil du leadership en matière de diversité formé de hauts dirigeants, ainsi que des groupes de ressources dirigés par des employés tels que le réseau Les femmes chez Bell, le réseau LGBT et le tout nouveau Réseau des professionnels noirs. Tous ces groupes offrent des opportunités de réseautage, de mentorat et de soutien au développement professionnel. De plus, l’entreprise est un leader dans le domaine de l’intégration de programmes et de soutien en santé mentale dans son milieu de travail, avec un intranet dédié à la santé mentale et au bien-être, ainsi que des ressources et outils centralisés facilement accessibles pour les membres de l’équipe.
Environnement
« Les changements climatiques étant liés à la consommation d’énergie, c’est un enjeu que nous surveillons de près », indique M. Duchesne. « Nous avons déjà dépassé plus rapidement que prévu nos objectifs de réduction des émissions de GES. Cependant, alors que l’utilisation de notre réseau croît, notre grand défi est de trouver des moyens d’atténuer la courbe croissante de la consommation énergétique », dit-il. Pour cette raison, Bell vise à obtenir la certification ISO50001, et elle suit les recommandations de la TCFD.
Les déchets électroniques représentent aussi une préoccupation, le public désirant savoir où se retrouvent les appareils lorsque le consommateur opte pour une mise à niveau. « C’est un enjeu plus difficile à gérer, nous proposons à nos clients des programmes pour faciliter le recyclage des appareils électroniques et nous les sensibilisons à l’importance de recycler correctement les diverses composantes », souligne M. Duchesne.
Le Concours : un outil précieux
« Ces étudiants sont brillants, jeunes et branchés et ils émettent des jugements réfléchis, à l’aide des outils à leur disposition », affirme M. Duchesne. « Leur regard nouveau est important pour les entreprises, qui rédigent un RDD année après année et c’est excellent pour les jeunes de développer leur sens critique. Le concours crée un dialogue très intéressant, et j’ai hâte de voir où nous en serons dans 10 ans. »
Mélanie Pilon, journaliste pour l’Initiative de la finance durable de Finance Montréal.