Luania Gomez-Gutierrez, professeure adjointe au Département de sciences comptables de HEC Montréal, a guidé un jury d’étudiants devant se prononcer sur les pratiques de divulgation d’entreprises canadiennes pour la 7e édition du Concours IFD-FM du meilleur rapport de développement durable. Leur évaluation a mis en lumière l’excellence de TC Transcontinental et de Nutrien en reddition de comptes pour les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
Méthodologie et résultats
En imaginant la perspective d’investisseurs ne possédant aucune expertise sur le sujet, les étudiants ont abordé la grille d’analyse qui propose d’attribuer 30 points boni, en plus des 105 points principaux, aux meilleures performances d’investissement responsable.
« Les entreprises qui se démarquent le plus utilisent la Global Reporting Initiative (GRI) pour rédiger leurs rapports de responsabilité sociale », mentionne Mme Gomez-Gutierrez. « Notamment, Nutrien nous a beaucoup impressionnés, en obtenant très souvent A et A+ comme pointage. »
Une autre constatation a été que les exigences ESG des diverses parties prenantes sont parfois contradictoires, nuisant à la transparence des entreprises. « Les entreprises gagnantes ont fait de l’ESG un avantage concurrentiel », indique Mme Gomez-Gutierrez. « Elles ont mis en place des stratégies aussi utiles pour l’environnement que pour la société, en plus d’être profitables du point de vue économique. Cela devient possible en incorporant les enjeux environnementaux et sociaux à la gouvernance de l’entreprise. »
Aussi, la pertinence des renseignements présentés dans le rapport de développement durable (RDD) a fait l’objet d’un débat. Les étudiants ont déterminé qu’au-delà d’éléments concrets, comme les amendes environnementales, ainsi que les provisions pour risques et litiges de nature ESG, le ton adopté a un impact indéniable.
« En plus de permettre aux lecteurs de prévoir les gains futurs et de confirmer les gains passés, les meilleurs RDD savent faire appel aux émotions des investisseurs en disant : ‘Voyez à quel point nous faisons bien les choses; voulez-vous investir dans notre projet?’ », explique Mme Gomez-Gutierrez. « Cette latitude en matière de contenu et de forme dévoile le côté plus humain des entreprises, quoiqu’il y ait le danger que les rapports servent davantage les fins promotionnelles que la reddition de comptes ».
Un Concours pour la relève
Imane Chafry, finissante au B.A.A Comptabilité, note que le Concours est un bon complément aux notions enseignées. « On avait appris la comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre (GES) et des données sur la décontamination, mais d’examiner les plans élaborés pour le développement durable, ça a donné un contexte à tout cela », dit-elle.
Le Concours permet également aux étudiants de rencontrer des gestionnaires pouvant devenir de bons modèles. « Les métiers spécialisés en investissement responsable sont porteurs de sens et c’est très valorisant de participer à la création d’un monde meilleur », précise Mme Gomez-Gutierrez.
En collaboration avec deux collègues, celle-ci vise à intégrer davantage le développement durable au programme de sciences comptables des 1er et 2e cycles. Dès 2021, ils prévoient créer un cours qui pourrait mettre à profit la grille d’évaluation du Concours pour la mise en pratique des notions enseignées. « J’aimerais que les étudiants voient concrètement qu’il existe des gens qui veulent investir dans les entreprises aux priorités sociales et environnementales », dit-elle.
De plus, elle croit que le milieu académique et les institutions financières doivent faire équipe pour mieux planifier leurs orientations et offrir aux professionnels de demain de nouvelles spécialités en finance responsable et durable, et en comptabilité sociale et environnementale.
En effet, alors que les jeunes comptables comme Imane Chafry remarquent des options de carrière en placements durables et s’intéressent aux théories de comptabilisation verte, les postes sont encore plutôt inédits. « À partir de ma 3e année à l’université, j’ai commencé à songer à une carrière en divulgation de développement durable, mais je ne sais pas encore quel rôle j’y occuperai en tant que comptable », raconte-t-elle. Voilà un monde à découvrir pour les nouveaux diplômés.
TC Transcontinental : la matérialité au cœur des stratégies de l’entreprise
TC Transcontinental, un chef de file en emballage souple en Amérique du Nord, le plus important imprimeur au Canada et le plus important groupe canadien d’édition pédagogique de langue française, a remporté le prix du meilleur RDD dans la catégorie Services, alors que l’entreprise terminait une année charnière où elle a choisi de revoir certains de ses objectifs.
En 2018, en réaction aux réalités qui touchent ses nouveaux secteurs d’exploitation, elle a mené une analyse d’envergure. Sondant environ 1500 employés, investisseurs, clients, fournisseurs et groupes environnementaux à propos de 24 sujets ESG, TC Transcontinental a établi une matrice de matérialité pour déterminer les thèmes, cibles et indicateurs de sa stratégie 2019-2021.
Préoccupations climatiques
« Puisque TC Transcontinental est une entreprise manufacturière, bon nombre de nos objectifs sont liés à nos activités d’exploitation et à notre utilisation des ressources », indique Charles David Mathieu-Poulin, conseiller principal – Économie circulaire.
Quoique le calcul des divers indicateurs pour les 44 usines de TC Transcontinental soit une tâche chronophage, l’entreprise lui accorde l’attention requise. « Nous communiquons entre autres nos données d’émission de GES dans le cadre du Carbon Disclosure Project (CDP) », souligne M. Mathieu-Poulin. « Nous pensons d’ailleurs à intégrercertains des éléments de divulgation requis par les normes de la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) et du Sustainability Accounting Standards Board (SASB) dans nos futurs rapports. »
En ce qui concerne l’approvisionnement en papier et en plastique, TC Transcontinental y voit une opportunité de jouer un rôle actif dans la création d’une économie circulaire pour les plastiques et d’influencer de façon positive les pratiques de gestion forestière. En mars 2019, TC Transcontinental est ainsi devenue le premier manufacturier canadien à joindre l’Engagement mondial de la nouvelle économie des plastiques de la Fondation Ellen MacArthur. À cet effet, l’entreprise s’engage, d’ici 2025, à ce que 100 % de ses emballages plastiques soient compostables, recyclables ou réutilisables, et à atteindre un taux d’utilisation moyen, en poids, de 10 % de contenu recyclé postconsommation pour l’ensemble du plastique dans son portefeuille de produits.
La société a par ailleurs créé en février dernier un groupe Recyclage au sein de TC Emballages Transcontinental pour la transformation de plastiques souples récupérés auprès de centres de tri et d’autres sources commerciales, industrielles et agricoles, en granules de plastique recyclé. L’entreprise a d’ailleurs annoncé sa première acquisition en ce sens il y a quelques jours.
Place aux femmes
De plus, la diversité des genres est très importante chez TC Transcontinental. « Isabelle Marcoux, présidente de notre Conseil d’administration, exerce son leadership en mobilisant l’entreprise à faire une place de premier plan aux femmes », mentionne M. Mathieu-Poulin. Le Conseil d’administration est composé de femmes à près de 40 %, 3 femmes font partie du comité de direction et l’entreprise vise à atteindre 30 % de femmes parmi les gestionnaires de ses usines et du siège social.
Nutrien : appuyer l’essor d’une agriculture durable
Élue par les étudiants de HEC Montréal parmi les entreprises du secteur de la Transformation des ressources, Nutrien est le plus important fournisseur d’intrants, de services et de solutions agricoles au monde.
Afin d’identifier les données les plus à propos du point de vue des enjeux ESG, Nutrien a mené des recherches auprès de ses 20 principaux actionnaires et s’est penchée sur les risques touchant particulièrement l’entreprise. « Nous avons ensuite établi notre série d’indicateurs ESG non financiers et un processus centralisé de collecte de données géré par des équipes qui surveillent l’empreinte écologique de nos activités, les ressources humaines qui s’occupent des enjeux sociaux et d’autres intervenants qui gèrent la gouvernance », indique Todd Coakwell, directeur, Durabilité et ESG chez Nutrien. Un groupe de travail assure présentement le développement d’un tableau de bord analytique innovant qui rassemblera toutes ces données plus rapidement.
Nutrien met à profit les plateformes du CDP, de la GRI, de la TCFD et du SASB. Certaines des données divulguées pour les émissions de GES de portées 1 et 2 font l’objet d’une assurance modérée, et l’entreprise prévoit en faire autant pour la portée 3.
Vision en durabilité agricole
Au cours de la prochaine année, Nutrien annoncera à ses actionnaires et autres parties prenantes une stratégie de développement durable globale axée sur le climat, son plus important facteur de risque, qui intéresse ses investisseurs des quatre coins du monde. « Nous voulons améliorer le contenu de notre RDD en y présentant nos objectifs de réduction des émissions générées par nos installations de production d’engrais, ainsi que les produits et solutions que nous offrons à nos clients pour limiter leur empreinte carbone par séquestration de carbone dans le sol », explique M. Coakwell. « Nous procédons à l’analyse de scénarios climatiques et au développement d’occasions d’affaires durables pour notre entreprise et nos clients producteurs. »
Coakwell croit en outre qu’une plus grande convergence doit être assurée à l’échelle mondiale en ce qui a trait aux plateformes de divulgation ESG, par la réglementation des normes actuelles. « Cela permettrait d’assurer la comparabilité et la responsabilisation de toutes les entreprises », précise-t-il.
Fière de ses réalisations en développement durable et en divulgation, Nutrien souhaite démontrer qu’elle prend au sérieux les enjeux ESG. « Nous avons hâte de partager dans un avenir proche la stratégie et les objectifs de Nutrien en ce qui a trait à la durabilité, et je crois que ce sera un beau moment pour notre entreprise et nos employés de raconter notre histoire marquante et de parler de l’impact qu’elle peut avoir sur toutes les plateformes et l’agriculture ESG », souligne M. Coakwell.
Mélanie Pilon, journaliste pour l’Initiative de la finance durable de Finance Montréal